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Le Chesnay - Rocquencourt Commune nouvelle

L’abbé Boissis

Une tombe une Histoire 

Il n’a pas de rue à son nom, et pourtant… A ce jour, il est le seul Chesnaysien connu enterré sur une place de la ville : au chevet de l’église Saint Antoine très exactement. Curieuse histoire que celle de cet abbé Boissis, qu’il a racontée lui-même vers la fin de sa vie. Ce natif de Frouville ( Val-d’Oise ) en 1846, prêtre du diocèse de Versailles, n’avait aucune envie de venir au Chesnay. Et pourtant, il va en marquer définitivement la physionomie.

Reprenons ! Le 7 mai 1894, l’abbé Boissis, curé du petit village de Roissy ( le futur aéroport… ) est nommé par son évêque au Chesnay … Passablement déçu de quitter une petite communauté dans laquelle il est bien, notre abbé se rend dans sa nouvelle paroisse dans les jours qui suivent, dans sa nouvelle paroisse. Et ce qu’il y voit n’a rien pour le séduire ! Accueilli par son prédécesseur, l’abbé Pilon, il découvre une église Saint Germain et un presbytère délabrés avec des fuites un peu partout ; une ville de guingois, tiraillée entre cet ancien quartier du Grand Chesnay et le « nouveau » Chesnay qui se bâtit sur la rue de Versailles, la rue de Glatigny et le plateau Saint Antoine. Et aussi, une municipalité anticléricale dirigée par le redoutable et charismatique Hyppolite Deslandes, avec lequel l’Abbé Pilon est en guerre larvée depuis plus de dix ans…

Pour couronner le tout, la mission conférée par l’évêque ( Monseigneur Goux ) est on ne peut plus claire : charge à l’Abbé Boissis de construire une nouvelle église dans ce tout aussi nouveau quartier… sur un terrain que son propriétaire refuse mordicus de vendre ! Par trois fois dans le mois qui suit, notre abbé se rendra à l’évêché de Versailles pour demander l’annulation de cette nomination. La réponse sera nette : l’abbé Boissis sera curé du Chesnay.

Voici donc notre nouveau curé arrivant un 1er juillet 1894 dans sa nouvelle paroisse. Première mission : trouver des fonds pour construire son église. Les évènements vont alors lui sourire. Dans le même temps, est arrivé à Versailles un prêtre italien qui a reçu du Pape Léon XIII la mission de développer le culte de Saint Antoine de Padoue en Europe. Aussitôt averti, l’abbé Boissis lui adresse une lettre pour plaider la cause de sa paroisse et de son besoin d’église. Surtout, l’abbé joue sur l’importance qu’a déjà Saint Antoine au Chesnay ( le quartier de Saint Antoine du Buisson, le boulevard Saint Antoine ) et qu’importe si ce n’est pas le même Saint Antoine !

Conquis, l’envoyé du Pape lui adresse une somme de 10 000 francs. Elle servira à bâtir une modeste chapelle provisoire… Provisoire et élevée en un mois mais dont l’inauguration en avril 1895 connaîtra un engouement sans précédent qui ne se démentira pas dans les mois qui suivront.

Cette effervescence autour d’une très modeste chapelle, mais très attendue et dédiée à un saint populaire va permettre de faire rentrer des fonds… De très importants fonds.

Dans le même temps, La Semaine Religieuse de Versailles, le journal édité par le diocèse de Versailles, lance une souscription. Et les dons pleuvent. L’abbé Boissis, qui avait commencé à faire du porte à porte pour recueillir des dons ( 12 francs et un refus ferme au bout de trois portes avaient douché sa motivation ) puis des appels papier à souscription ( dont le résultat fut si mauvais qu’il ne couvrit même pas les frais d’impression ) se laisse dès lors mener par la Providence en laquelle il est fortement attaché.

Le terrain choisi se libère également comme par enchantement : son propriétaire décédé à la fin de l’année 1896, sa veuve et ses enfants acceptent de le vendre, participant même à la construction de l’église. Les travaux commencent quasi-aussitôt, la bénédiction de la première pierre (fondation faites) a lieu le 19 avril 1897.

Leyendecker, architecte versaillais de renom qui signe de nombreuses maisons du quartier, est choisi pour construire l’église. Généreusement, l’architecte fera don de ses honoraires à la construction de l’église ( qui, il faut bien l’avouer, lui fera une belle publicité ). L’entrepreneur Lucas sera en charge des travaux et connaîtra bien des péripéties : la Grande Exposition de 1900 éloignera bien des ouvriers et des matériaux du chantier de l’église.

D’année en année, les travaux engloutiront plusieurs centaines de milliers de francs… Sommes que l’abbé Boissis payera toujours rubis sur ongle. C’est finalement une belle église de style néo-gothique qui s’élève, sobre, relativement dépouillée, mais lumineuse grâce à ses grands vitraux.

3 ans après le premier coup de pioche, le 18 novembre 1900, l’église est bénie solennellement par l’évêque de Versailles. Est-elle terminée ? Comme le dira l’abbé Boissis, les murs et le toit étaient là, mais ni les vitraux, ni le mobilier, ni même le clocher dont l’échafaudage dépasse alors à peine du toit de la nef.

3 ans seront encore nécessaires pour terminer le clocher. Les orgues et la plupart du mobilier de l’église attendront 1905, les vitraux 1906, le tympan de l’entrée de  l’église et les cloches 1910 ! L’abbé Boissis était un homme pressé !

Enfin l’église achevée et le nouveau quartier dans laquelle elle prenait place durablement transformé, l’abbé Boissis pouvait savourer le plaisir d’officier dans sa paroisse. Plaisir qui se prolongea jusqu’à 1927, date à laquelle, ayant dépassé les 81 ans, il fut admis à la « retraite » comme chanoine de sa propre paroisse.

En 1933 décédait ce prêtre heureux… Et comme il fallait bien lui rendre un dernier hommage, ce fut à l’ombre de son église qu’on l’enterra. Avec ce verset de l’Apocalypse comme épitaphe : « Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur, leurs œuvres les suivent. »

Sources : La construction de Saint Antoine du Chesnay ou les miracles de l’Abbé Boissis, Père André Vénard
Les églises du Chesnay, Mmes Hude et Lagarde, MM. Asselbergs, Berthet et Lefas, Annales du Chesnay, 1989