Professeurs Younes et Speranza - Briser les tabous sur la santé mentale
À l’occasion des Semaines d’information sur la santé mentale (SISM), les Professeurs Nadia Younes et Mario Speranza, psychiatres au Centre hospitalier de Versailles reviennent sur les problématiques de santé mentale et les troubles psychiques.
Professeure Nadia Younes - Cheffe du service universitaire de Psychiatrie pour adultes et addictologie, et du pôle de Psychiatrie et santé mentale au Centre hospitalier de Versailles
Professeur Mario Speranza - Chef du service universitaire de Psychiatrie de l'enfant et de’l’adolescent au Centre hospitalier de Versailles

De quoi parle-t-on quand on parle de santé mentale et de troubles psychiques ?
Pr Speranza : Pour commencer, il est important de faire la différence entre la psychiatrie et la santé mentale. La psychiatrie est une branche de la médecine. Elle concerne des troubles, des maladies avec des causes à identifier, des symptômes, un impact fonctionnel. Le concept de santé mentale est beaucoup plus large dans lequel on doit davantage intégrer tout ce qui est relatif à la société (les politiques sociales, culturelles, la vie professionnelle...). Elle se construit avec une participation collective.
Pr Younes : Tout le monde a une santé mentale. Elle désigne notre façon de penser, ressentir nos émotions. C'est le bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter l'essentiel normal de la vie. Cette santé mentale peut parfois être altérée par des déséquilibres psychiques réactionnels. Cela ne veut pas nécessairement dire que l'on a un trouble psychique. Un trouble est une entité diagnostique qui entre dans les classifications de psychiatrie (ex : un trouble schizophrénique, un épisode dépressif…). On peut tout à fait avoir un trouble psychique avec une bonne santé mentale, un état de bien-être.
Pourquoi parle-t-on de plus en plus de santé mentale ?
Pr Younes : Pour commencer, nous, professionnels de la santé mentale, nous avons une meilleure connaissance. Il y a eu des avancées scientifiques sur ce que sont la santé mentale et les troubles mentaux. Ensuite, il y a une augmentation du stress dans nos sociétés, dû à différents enjeux qui contribue à un mal-être. Et à ce sujet, il y a eu une libération de la parole, notamment dans les médias. Cela permet de se rendre compte que tout le monde peut avoir un trouble mental sans que cela n'empêche la réussite ou l'accomplissement de soi. Et puis, il y a eu plus de reconnaissance institutionnelle, dont les Semaines d’information de la santé mentale. Elles sont importantes sur ces enjeux de déstigmatiser, informer, assembler, fédérer les personnes, faire connaître.
Pr Speranza : Si l’on essaie de se focaliser sur les jeunes, on voit effectivement une augmentation de la souffrance générale. Le phénomène commençait à monter avant la pandémie et il y a eu un pic après, qui continue aujourd’hui. Les adolescents, qui sont en train de construire leur identité, sont davantage vulnérables face aux facteurs d’anxiété (les difficultés financières, guerres, crise de la démocratie...). Aussi, nous savons que les jeunes ont besoin de lieux de socialisation médiatisés par un adulte (culture, associations, école...). À côté de tout cela, il y a l'univers médiatique qui représente un potentiel de créativité et d'ouverture d'esprit, mais qui peut être un danger quand il n'y a plus la médiation sociale dans l'accompagnement des jeunes. Quand il n’y a pas de modulation, les plus vulnérables sont encore plus fragilisés et risquent d'adopter des comportements d'imitation ou non maîtrisés.

Quels conseils donneriez-vous pour déceler chez un proche les prémices d'un trouble mental ?
Pr Younes : Pour les troubles psychiques, une prise en charge précoce améliore le pronostic. Je conseillerais à l’entourage de s'informer et de savoir que ça peut arriver à tout le monde et à tout moment. Un trouble peut se manifester soit soudainement, soit progressivement. Il y a une rupture du fonctionnement : changement de comportement, perte d’intérêt, isolement, manque de sommeil ou d’appétit, idées délirantes, changement d’émotions…
Pr Speranza : L'une des stratégies les plus efficaces est de s'intéresser à ce que vivent les autres. Les adolescents et les enfants ont tendance cacher aux proches quand ça ne va pas. L'idée est de faciliter l'expression, mais sans forcément avoir une posture de contrôle ou d'inquiétude excessive. Il faut valider leur point de vue sur ce qu'ils vivent. Ce qui ne veut pas dire qu'on est d'accord à ce qu'ils font, il y a certains comportements qui attirent l'attention des parents, et ces signes peuvent être des prémices de problématiques de santé mentale. Mais l’émotion et les raisons qui ont amené à ce comportement nous intéressent encore plus.
Quelle attitude adopter ?
Pr Younes : Une fois que ces signes ont été repérés, accompagner la personne, écouter sans juger, et essayer de la comprendre. Lui suggérer ensuite de se soigner, d'en parler à un médecin généraliste, un psychologue ou un psychiatre. Tous les troubles psychiques se soignent. Un diagnostic n'est pas synonyme d'un arrêt de la vie. Parfois c'est un épisode, parfois cela demande d’envisager la vie autrement. En revanche il est important de savoir quels sont les éléments d'urgence psychiatrique : idées suicidaires ou délirantes envahissantes, avec éventuellement une mise en danger de soi ou d'autrui.
Pr Speranza : J'ai beaucoup réfléchi sur le rôle de l’entourage comme ressource essentielle. Ce qui est important dans les cas des enfants et des adolescents, ce sont les stratégies d'accompagnement des parents. Plus les spécialistes les soutiennent pour qu'ils soient à même de donner des réponses, de rassurer, de contenir la souffrance, plus c'est facile pour les jeunes et pour les professionnels qui s'occupent d’eux. Le système d'aide aux aidants est un mécanisme très important. Le travail indirect dans des environnements comme l'école doit également être soutenue pour être plus ajusté par rapport aux besoins de l'enfant.